Pourquoi je cours ?

Autoportrait de l’auteur en coureur de fond
par Haruki Murakami

J’éprouve souvent une certaine jouissance à la lecture d’un texte qui exprime ce que je ressens alors que je n’arrive pas à l’exprimer moi-même. Ca doit être la réalisation que je ne suis pas tout seul : d’autres personnes ressentent les mêmes besoins et émotions que moi. Je ne suis donc pas fou, même si les sentiments que je vis sont eux-même potentiellement un peu barrés ! Haruki Murakami, auteur de romans à succès depuis les années 80, m’a récemment procuré un tel plaisir dans son court essai « Autoportrait de l’auteur en coureur de fond.« 

Murakami - Autoportrait de l'auteur en coureur de fond
Murakami – Autoportrait de l’auteur en coureur de fond

Alors, pourquoi je cours ? Voilà un concept que j’ai généralement bien du mal à expliquer autour de moi aux non-coureurs. Sans doute parce qu’on ne parle pas vraiment la même langue ! Comment expliquer la recherche d’une certaine souffrance physique ? Comment justifier les efforts consentis pour aller courir régulièrement ? Et comment décrire adéquatement la profonde satisfaction que l’on goûte lorsque l’on normalise une nouvelle distance max et diminue progressivement son temps, 5 secondes par-ci, 10 secondes par-là ?

Comment expliquer le plaisir que peut procurer le fait d’avoir mal ? La satisfaction que génère le picotement à l’intérieur même des poumons ressenti un froid matin d’hiver. Ou la tête qui tourne lorsqu’une grosse chaleur tombe sur la ville, et que l’on est au bord de l’étourdissement à la fin de la session. Comment retranscrire l’angoisse d’une blessure qui nous empêche de nous entrainer et qui créé un véritable manque physique pendant la période de convalescence ?

La quête de soi-même dans la course de fond

Murakami s’attèle à répondre à ces questions et à expliciter sa relation avec la course à pied. Pourquoi il court, comment il aborde l’entrainement et la compétition, quel impact ce sport a-t-il sur sa santé physique et mentale… Et il le fait bien mieux que je ne pourrais jamais le faire. J’ai d’ailleurs lu ici et là que beaucoup de personnes n’étant pas elles-même adeptes de ce sport avaient trouvé la lecture très agréable.

Je vois plusieurs raisons à cela. D’abord, Murakami intègre au milieu de ses réflexions sur la course de nombreux éléments de sa vie d’écrivain. Ses débuts à Tokyo lorsqu’il laisse tomber son bar pour se dédier à 100% à l’écriture de romans (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a commencé la course : assis toute la journée à son bureau pour écrire un livre, il a pris beaucoup de poids rapidement). Sa méthode d’écriture, et la discipline que lui donne la course à pied. Les années qui passent au rythme des marathons, triathlons, et autres épreuves du même calibre. On découvre ainsi la course à pied comme élément régulateur du reste des activités de l’auteur.

Autre point fort de l’oeuvre, Murakami use d’une prose extrêmement directe. On est quasiment dans le journal intime, avec une première personne très proche du lecteur. Murakami profite de l’exercice pour se confier, et on a souvent l’impression d’être assis confortablement dans un fauteuil en cuir, en face de l’auteur, dans un bar à whisky de Tokyo. Il fait également preuve d’une lucidité remarquable sur ses propres capacités, et ses limites. Et présente une humilité qui, si elle paraît parfois forcée, semble quand même globalement authentique. On accroche ou pas : de mon côté, c’est tout à fait mon type de personne.

Finalement, je suis comme Murakami

En filigrane, on découvre aussi un Murakami qui se dévoile bien volontiers, en n’occultant ni ses faiblesses ni ses doutes. Et fatalement, il s’expose comme étant légèrement excentrique sur certains points. Par exemple, il note absolument TOUT lorsqu’il s’agit de ses courses et entrainements. A un niveau presque maladif ! Ce qui a de quoi me rassurer : je tiens également un journal de mes efforts physiques (discipline, distance, durée, etc…), mais aussi de mes lectures (nombre de pages, stats sur genre et nationalités des auteurs, etc…), et d’autres choses encore. Tout compter, noter frénétiquement… On approcherait presque de la névrose ?

Autre point de similitude : j’ai la même passion pour l’atteinte des objectifs de course que je me fixe, même si je reste très loin de ses accomplissements, évidemment (Murakami parle de certains mois à 350km courus !! Pour ceux à qui ça ne dit rien : c’est ENORME !). Globalement, je pense avoir la même visée que lui : les efforts doivent être fait dans la durée, les paliers atteints ne sont que ça: des étapes. L’oeil doit être fixé sur un horizon plus lointain, et les objectifs s’inscrire dans un cadre plus général que simplement « la performance pour la performance »…

Et en finissant la lecture, on pourra philosopher sur le déclin du corps humain avec l’âge, sur l’inutilité de toute compétition hors de celle avec soi-même, ou d’autres thèmes du même acabit. Mais on aura sans doute mieux à faire en enfilant ses chaussures de course et en allant redécouvrir des chemins familiers, au rythme de sa propre respiration, du choc de ses semelles sur le sol, et de la route qui défile sous ses pas.

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