La Grande Illusion – Journal Secret du Brexit
par Michel Barnier
Référendum… Article 50… Sortie du marché unique… Accord de retrait… Relation future…
Je sais pas vous, mais moi, le brexit, j’ai eu du mal à tout bien suivre pendant ces 5 dernières années… Depuis le référendum de 2016 où 52% des votants britanniques ont décidé de quitter l’Union Européenne, j’en entends parler à toutes les sauces… Une confusion sans doute causée autant par mon manque de temps ou d’intérêt pour vraiment suivre régulièrement l’avancée de ces discussions que par la complexité des enjeux. Du coup, un résumé a posteriori des années de discussions et négociations entre les anglais et les européens est bienvenue pour mieux comprendre ce qu’il s’est passé. Et qui de mieux placé pour raconter ces négociations que celui qui se trouvait en plein milieu : Michel Barnier, le « négociateur en chef » nommé par la commission Européenne.
Structurer des discussions explosées
Michel Barnier a tout vu depuis l’intérieur : chargé par la Commission Européenne de diriger les négociations au nom des 27 pays de l’UE, il a pris des notes journalières pendant les 4 ans qu’ont durées ses négociations avec le Royaume-Uni. Ce sont ces notes, sélectionnées et retravaillées par lui-même, qui composent les quelques 500 pages du bouquin.
La structure même des notes fait que l’on a toujours une excellente compréhension de la temporalité des discussions. Barnier ne cesse de replacer les événements dans leur contexte plus global, de rappeler les échéances approchantes, d’expliciter les phrases des uns, et de contextualiser les positions politiques des autres. En conséquence, ce journal secret du brexit est beaucoup plus clair que l’on n’aurait pu le craindre. C’est sa première grande qualité : concision et clarté.
Les fils rouges de la négociation européenne
La seconde grande qualité est de toujours revenir au fil rouge que représentent les positions de l’UE lors de chacune des étapes des négociations. Ainsi, lors du premier acte de « séparation entre le UK et l’UE », il se raccroche toujours aux trois grandes priorités des instances européennes :
- préserver la paix en Irlande,
- respecter les droits des citoyens européens,
- régler les questions financières.
Pareillement, dans le deuxième acte des discussions, sur la négociation quant à la relation future entre UK et UE, le fil rouge devient :
- un level-playing field économique et social entre les deux parties,
- une gouvernance solide du futur accord,
- un accord fair sur les zones et quota de pêche.
En revenant toujours à ces points d’achoppement, Barnier met en relief les axes qui étaient primordiaux pour l’Union. Et cela donne des rochers auquel le lecteur peut s’accrocher lorsque le débat devient un peu technique, ou que la quantité de sujets ouverts menace de le submerger.
L’amateurisme des négociateurs du royaume-Uni
En face de cette approche extrêmement structurée, Barnier oppose le néant proposé par les équipes de négociation britanniques. 3 premiers ministres successifs, 3 négociateurs en chef successifs… Peu de suivi dans le temps lors d’une campagne de négociation menée par des personnalités politiques qui semblaient plus motivées par les symboles que par la résolution des problèmes humains et économiques bien réels provoqués par la sortie de l’UE. Barnier expose ainsi des situations ubuesques, où coup de coups de trafalgar, communications parallèles, et autres retours sur des engagements pris se succèdent à un rythme effréné. Et où l’on se dit que, parfois, la réalité dépasse la fiction…
Du début à la fin, Michel Barnier se lamente du manque de sérieux des britanniques, de leur incapacité à bien comprendre les enjeux du brexit, et des méthodes de négociations constamment à la limite de l’irrespect. Evidemment, le récit est biaisé, et il serait intéressant de lire un livre similaire émanant de l’autre côté de la négociation. Mais on remarquera tout de même que les britanniques semblaient bien plus préoccupés par leur politique intérieure que par la négociation avec l’UE pendant ces 4 années de « dialogue ».
l’Union Européenne : un fonctionnement parfois kafkaïen pour de vrais avantages
J’ai personnellement trouvé passionnante la découverte des nombreux mécanismes internes de l’Union Européenne. Il faut cependant dire que mes cours de droits européens, en première année d’études, sont maintenant très lointains ! Mais en tant que profane, j’ai été passionné par les explications très didactiques de Barnier. L’articulation des 3 institutions européennes (commission, parlement, conseil), les rapports avec les pays membres, le fonctionnement du budget européen… C’est parfois à se demander comment 27 pays réussissent, bon an mal an, à mettre en oeuvre une intégration aussi forte que ce que réalise l’Union. Car que de processus, communications, traductions, notes de cadrage, consultations, et autres votes !
Mais ce que je retire également de la lecture de ce journal du brexit, c’est un sentiment pro-européen renforcé. Michel Barnier saupoudre ses notes de rappels historiques sur les femmes et hommes politiques qui ont fait l’Europe. Il liste ses expériences personnelles, souvent pertinentes, qui donnent un visage humain à des discussions entre technocrates qui peuvent tellement facilement devenir désincarnées. Une vision de ce qu’apporte l’UE qui ne reste pas que romancée, puisque les détails sur les négociations expliquent parfaitement ce que pourront ou ne pourront pas faire les citoyens et les entreprises britanniques en fonction de ce qu’ils négocient dans l’accord avec l’UE.
Et je me retrouve, à titre personnel, dans ces expériences Européennes. Passé par l’Angleterre vers mes 10 ans pour apprendre l’anglais, entouré d’étudiants venant de partout en Europe lors de mes études, expatrié en Irlande où j’ai pu m’installer sans aucun visa il y a maintenant presque 10 ans… Autant d’expériences personnelles qui auraient sans doute été beaucoup plus compliquées, voire impossibles sans l’Union Européenne.
Quelques remarques dans le désordre, pour terminer
Michel Barnier semble être un diplomate moderne. Epousant des principes exposés par exemple par Tom Fletcher dans son livre » The Naked Diplomat« , Barnier a compris l’intérêt de la transparence du procédé diplomatique. Il tweet. Il tweet même beaucoup ! Et il est d’ailleurs marrant de le voir au détour d’une page analyser le nombre de likes par tweets pour appuyer une idée particulière ! Mais cette transparence est toujours la bienvenue.
Le plaisir de lecture de ce journal du brexit n’est pas toujours au rendez-vous. Le style est en effet parfois sec, et le propos technique… Mais la clarté prend le pas sur le style, ce qui est le plus important pour ce genre d’écrit. Par ailleurs, ce journal est sans doute assez biaisé en faveur de l’Union Européenne… Une équipe de technocrates super-héros, une unité sans failles entre les 27 pays restants dans l’UE, une communication claire et raisonnée à l’opposé de la « bouillie » britannique… Autant de traits sans doute un peu forcés.
Enfin, une dernière réflexion à propos des droits sur la pêche. Pourquoi les droits relatifs aux pêcheurs de tel ou tel pays sont-ils élevés à un niveau d’importance stratégique si grand qu’ils risquent de faire capoter l’ensemble de la négociation ? On parle d’une industrie qui ne pèse rien (0.5 milliard par an) pour le Royaume-Uni, comparé au PIB de l’Union Européenne : 15 000 milliards d’euros !
Ma seule explication potentielle : étant donnée qu’il est impossible, au XXIème siècle, de faire bouger les frontières de pays européens lors d’une négociation telle que celle du brexit, le combat sur les zones de pêche est ce qui s’en rapproche le plus. Faire reculer l’autre pays sur sa zone de pêche est l’équivalent moderne de la reprise de l’Alsace et de la Lorraine. Reprendre au vaincu les possessions territoriales, pour le symbole !
Ce qui résume bien ces discussions sur le brexit
Postures dogmatiques, saillies médiatiques, exercice politique périlleux influant sur la vie de centaines de millions de personnes… On aura donc été témoins pendant 4 ans d’un immense cirque, de Londres à Bruxelles. Dont personne ne ressort d’ailleurs gagnant. Et qui risque d’avoir des répercussions fâcheuses pendant encore des années. Escarmouches dans la Manche, visas temporaires pour attirer les travailleurs dans les secteurs durement touchés, des risques de gâchis agricole par manque de main d’oeuvre qualifiée, les exemples sont déjà nombreux… Ca donne à réfléchir.