Manifeste pour un urbanisme circulaire
par Sylvain Grisot
Cela fait maintenant un certain temps que je cherche à m’informer de manière proactive sur le dérèglement climatique. Par exemple, le podcast « How to save a Planet » m’a appris pas mal de choses, dans un format facile à digérer. Le site de BonPote est également une mine d’or (notamment cet article sur les voyages en avion auquel je repense régulièrement, moi qui ai abusé de ce mode de transport pendant des années). Bref, les ressources ne manquent pas.
Mais je me suis rapidement retrouvé confronté à un mur. OK, on comprend bien, il faut baisser les émissions de gaz à effet de serre. Mais comment ? Les domaines concernés (la mobilité, l’alimentation, le logement, l’industrie etc…) sont tellement complexes et interdépendants… Et si les actions individuelles, c’est un premier pas, les évolutions systémiques, c’est mieux !
Bref, assez rapidement, on se rend compte qu’il faut vraiment creuser les sujets profondément pour comprendre les enjeux. En ayant ainsi une meilleure compréhension, on pourra peut-être passer à l’action. C’était en tout cas mon état d’esprit avant d’attaquer la lecture de ce manifeste ! Et l’urbanisme ayant un impact sur quasiment tous les domaines évoqués plus haut, c’est sans doute un bon point de départ.
Urbanisme et artificialisation des sols
Chaque année en France, nous artificialisons trop de surfaces. L’artificialisation, c’est la prise de terrains naturels (principalement agricoles, mais aussi forestiers ou autres) pour en faire des zones urbaines construites. En gros, chaque heure, ce sont l’équivalent de 5 terrains de football qui sont bétonnés en France, nous dit Sylvain Grisot.
Et c’est bien trop. Les territoires naturels nous nourrissent, séquestrent les gaz à effet de serre, et participent à la gestion de l’écoulement des eaux. Il nous faut donc les préserver ! Or, la logique d’aménagement du territoire depuis le début du XXème siècle (voire avant) prône l’étalement. Et cela continue aujourd’hui : l’artificialisation des sols avance 3 fois plus vite que la population du pays n’augmente.
Le bouc émissaire historique est tout trouvé : la voiture personnelle, pardi ! Elle a permis à beaucoup de s’éloigner de leur lieu de travail, encourageant l’étalement de nos villes. Cependant, il serait simpliste de s’arrêter là, et c’est ici que l’expertise de l’auteur entre en jeu. Urbaniste en chef, il expose les contraintes économiques, physiques, et techniques qui incitent tous les acteurs de la chaîne du bâtiment à construire du neuf sur un champ en bordure de ville plutôt que de travailler sur de l’ancien.
Applications des principes de l’économie circulaire à l’urbanisme
Alors quelles solutions ? Vous avez peut-être entendu parler du concept d’économie circulaire : réparer, réutiliser, recycler, réduire (et sans doute d’autres verbes commençant par un R)… Et bien Sylvain Grisot propose d’appliquer ces concepts à la fabrication de la ville :
Il s’agirait donc, selon Grisot, de d’abord (1) intensifier les usages des espaces urbains. Par exemple, pas besoin de construire un nouveau bâtiment pour un espace de co-working quand on peut utiliser un restau universitaire (vide après 14h les jours de la semaine + le weekend). Ou alors utiliser des bâtiments en attente de destruction pour cultiver des champignons. Bref, une meilleure utilisation des espaces déjà existants plutôt que la création de nouveaux.
Ensuite, il faut (2) mieux transformer l’existant quand son usage est obsolète. Bâtir dans les interstices, mettre en place des bâtiments modulaires qui s’adaptent dans le temps, et donner une nouvelle vie à des quartiers entiers plutôt que de les laisser en friche. Autant d’exemples de projets qui permettent de ne pas aller en périphérie urbaine pour empiéter sur les espaces naturels.
Enfin, si vraiment un espace urbain ne peut plus être utilisé, alors il convient de le (3) recycler efficacement. La gestion des friches est un problème généralisé, entre intérêts économiques particuliers et alignement compliqué entre localités, départements et régions… L’auteur passe en revue la nécessaire harmonisation qui devra être mise en place pour gérer ces complexités.
Les leçons à retenir
La démonstration est relativement limpide. Le constat, d’abord, est sobre, clair et concis. Puis, les solutions potentielles sont exposées, accompagnées de nombreux exemples de projets pionniers dans tous les coins de l’hexagone. Enfin, le manifeste se referme avec des réflexions sur les pistes à étudier pour favoriser les 3 typologies de solutions évoquées ci-dessus (intensifier, transformer, et recycler les espaces). Et le tout tient dans à peine plus de 200 pages, un format donc hyper efficace.
J’ai particulièrement retenu 3 concepts essentiels.
- Le fait que l’urbanisme n’est pas seulement une gestion des espaces, mais aussi des temps.
La création de la ville, dans l’imaginaire commun, c’est principalement prendre des décisions sur « quoi construire où? ». Alors qu’en réalité, la vraie définition s’approcherait plutôt de « comment organiser le vivre ensemble? » On doit donc sortir des considérations purement techniques, pour entrer dans la gestion des espaces sur des temps plus longs et plus morcelés. Un espace doit avoir plusieurs fonctions, pour potentiellement plusieurs types d’usagers à différents moments de sa vie. - L’urbanisme est touché par le solutionnisme technologique.
« Rien n’est à inventer, tout reste à faire » nous dit Sylvain Grisot. Il part du principe que les techniques sont déjà là pour arriver à l’objectif de Zéro Artificialisation Nette. Maintenant, il s’agirait principalement de les mettre en oeuvre. Evidemment, ces techniques sont souvent plus onéreuses que les techniques classiques. C’est d’ailleurs un point qui n’est mentionné qu’en passant dans le manifeste pour un urbanisme circulaire… - Les dynamiques de pouvoir sont pourtant le premier obstacle.
L’une des constantes que j’observe partout dès qu’il s’agit de développement durable est le fait que tout implique le renversement de pouvoirs établis et de bataille pour plus d’équité sociale et politique. La volonté de changer notre mode d’urbanisme n’est actuellement que peu présente. Une des priorités absolues pour l’avenir est donc sans doute de réorganiser tous les acteurs de la chaîne de valeur, pour changer les incitations et les systèmes de récompense. Quelque chose qui ne se fera donc pas sans la volonté politique à tous les niveaux, des maires au gouvernement.
Bref, ce manifeste est à recommender à absolument chacun des 36 000 maires de France. Et j’ai une demande pour chaque lecteur : si vous connaissez des élus, mettez leur ce livre entre les mains !
Très intéressant votre résumé du livre de Sylvain Grisot. Vous m’avez vraiment donné envie de le lire. Du coup, je viens de l’acheter.
Moi qui habite dans un village en Provence, je râle souvent concernant la sous-occupation de nombreux équipements comme les terrains de football (interdits en dehors des clubs), certaines salles municipales, etc. Et devant la destruction régulière de terrains naturels pour construire de très petits immeubles, des maisons individuelles, des centres techniques, etc.
Je ne crois pas que la majorité des maires actuels soit capable de penser autrement, car les schémas mentaux sont bien ancrés. Et les citoyens ne s’intéressent que très peu à ces sujets pourtant passionnants.
Mais promis, dès que j’aurais fini de lire le livre, je l’offrirai au maire de ma commune.
Merci Thierry, pour ce message hyper encourageant, et pour la promesse d’aller prêcher la bonne parole !